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Chronique : Trois frappes, 60 millions de dollars, les drones ukrainiens pulvérisent la défense russe
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Introduction : quand le ciel devient un champ de bataille asymétrique

Trois jours. Soixante millions de dollars. Trois systèmes de défense aérienne russes réduits en ferraille fumante. Les chiffres tombent comme des couperets, brutaux, implacables. L’Ukraine vient de frapper un grand coup dans la guerre des drones, cette guerre invisible qui se joue au-dessus de nos têtes, loin des caméras, mais avec une efficacité redoutable. Les Forces des systèmes sans pilote ukrainiennes ont annoncé le 28 novembre 2025 la destruction de trois systèmes de défense aérienne russes de haute valeur : deux Buk (un M1 et un M2) et un Tor-M2. Trois bijoux technologiques de l’arsenal russe, trois piliers de la défense antiaérienne de Moscou, volatilisés en moins de 72 heures par des drones qui coûtent entre 750 et 1500 dollars pièce. Le rapport coût-efficacité donne le vertige. C’est David contre Goliath, version 2025, avec des circuits imprimés et des explosifs miniaturisés. Cette opération menée par le bataillon Asgard de la 412e brigade Nemesis, en coordination avec le 12e Centre à usage spécial et l’unité « Kabul 9 » du renseignement militaire ukrainien, marque un tournant dans cette guerre d’usure technologique. Les Russes perdent leurs yeux, leurs boucliers, leurs systèmes de protection les plus sophistiqués face à des essaims de drones bon marché pilotés avec une précision chirurgicale.

Je regarde ces images thermiques, ces vidéos en première personne où l’on voit le drone foncer vers sa cible avant que l’écran ne devienne noir. Et je me dis : voilà la guerre du XXIe siècle. Pas de héros sur un cheval blanc, pas de tanks rugissants dans la plaine. Juste un opérateur quelque part, peut-être à des centaines de kilomètres, qui guide un engin volant vers un système valant des dizaines de millions. C’est froid, c’est technique, c’est terriblement efficace. Et ça change tout.

Le contexte d’une guerre technologique sans précédent

Depuis le début de l’invasion russe en février 2022, la guerre en Ukraine s’est transformée en un gigantesque laboratoire militaire à ciel ouvert. Les drones, initialement utilisés pour la reconnaissance, sont devenus des armes offensives majeures. Les deux camps investissent massivement dans cette technologie, mais l’Ukraine a pris une longueur d’avance dans l’innovation et l’adaptation tactique. Les Forces des systèmes sans pilote, créées officiellement en 2024, regroupent désormais des milliers d’opérateurs spécialisés, des ingénieurs, des développeurs qui travaillent jour et nuit pour améliorer les capacités de ces engins volants. Le pays produit maintenant ses propres drones en masse, avec des chaînes d’assemblage qui tournent à plein régime dans des usines secrètes dispersées sur tout le territoire. Les modèles évoluent constamment : drones FPV (First Person View) pour les frappes de précision, drones longue portée pour les attaques en profondeur sur le territoire russe, drones kamikazes bourrés d’explosifs, drones de reconnaissance équipés de caméras thermiques et de systèmes de vision nocturne. L’arsenal s’enrichit chaque mois de nouvelles variantes, plus rapides, plus furtives, plus létales. Et face à cette prolifération, la défense aérienne russe montre ses limites.

Les systèmes détruits : des pertes stratégiques majeures

Les trois systèmes anéantis lors de cette opération représentent bien plus que leur valeur monétaire. Le Buk-M1, système mobile de moyenne portée conçu pour abattre des avions et des missiles de croisière, constitue l’épine dorsale de la défense antiaérienne russe depuis les années 1980. Modernisé à plusieurs reprises, il reste un équipement fiable et redouté, capable d’engager des cibles jusqu’à 35 kilomètres de distance et 22 kilomètres d’altitude. Le Buk-M2, version améliorée introduite dans les années 2000, offre des performances supérieures avec un radar plus rapide, une portée étendue et la capacité de traiter simultanément plusieurs menaces. Quant au Tor-M2, c’est un système de défense à courte portée spécialement conçu pour intercepter les drones, les munitions guidées de précision et les missiles volant à basse altitude. Présenté comme « ultra-moderne » par les médias d’État russes en 2023, il est censé pouvoir engager jusqu’à 48 cibles simultanément tout en se déplaçant. Ces systèmes forment des couches de protection complémentaires : le Tor protège les installations stratégiques contre les menaces immédiates, tandis que les Buk assurent une couverture à moyenne portée. Leur destruction crée des brèches béantes dans le bouclier défensif russe, exposant des sites militaires, des dépôts de munitions, des centres de commandement qui étaient jusqu’alors protégés.

L’anatomie d’une frappe de précision

La planification : renseignement et coordination

Derrière chaque frappe réussie se cache un travail de renseignement minutieux. Les Forces des systèmes sans pilote ukrainiennes ne frappent pas au hasard. Chaque cible est identifiée, localisée, analysée avant qu’un drone ne soit envoyé. Le processus commence par la reconnaissance : des drones de surveillance survolent les lignes arrière russes, photographient, filment, cartographient les positions ennemies. Les images sont transmises en temps réel aux centres d’analyse où des spécialistes scrutent chaque détail. Un véhicule suspect, une antenne radar, des traces de chenilles dans la boue – tout peut trahir la présence d’un système de défense aérienne. Les données sont croisées avec les renseignements fournis par les satellites, les interceptions de communications, les informations fournies par les agents sur le terrain. Une fois la cible confirmée, l’opération entre dans sa phase de planification tactique. Quelle trajectoire d’approche ? À quelle altitude ? À quelle vitesse ? Quel type de drone utiliser ? Combien en envoyer ? Les questions se bousculent, les réponses doivent être précises. Car un système de défense aérienne, même au repos, reste dangereux. Il peut s’activer en quelques secondes, balayer le ciel avec son radar, verrouiller une cible et tirer. L’effet de surprise est crucial. Dans le cas de cette opération, trois unités différentes ont coordonné leurs efforts : le bataillon Asgard, le 12e Centre à usage spécial et l’unité « Kabul 9 » du renseignement militaire. Cette collaboration inter-armes témoigne de la sophistication croissante des opérations ukrainiennes.

L’exécution : la danse mortelle des drones

Les vidéos publiées par les Forces des systèmes sans pilote montrent des images saisissantes : la vue en première personne d’un drone fonçant vers sa cible, le paysage qui défile à toute vitesse, puis l’impact et l’écran qui devient noir. Ces quelques secondes résument des heures de préparation, de tension, de concentration extrême. L’opérateur, assis devant ses écrans, manipule les commandes avec une précision de chirurgien. Il voit ce que voit le drone, ressent chaque mouvement, chaque correction de trajectoire. Autour de lui, l’équipe surveille les paramètres : altitude, vitesse, niveau de batterie, signal GPS, liaison radio. Tout doit être parfait. Le drone vole bas pour éviter la détection radar, zigzague pour compliquer une éventuelle interception, accélère dans la phase finale pour maximiser l’impact. Certains modèles utilisent désormais des câbles à fibre optique pour éviter le brouillage électronique, une innovation qui rend ces engins pratiquement impossibles à neutraliser par les contre-mesures électroniques russes. Le drone devient alors un missile guidé avec une précision absolue, insensible aux perturbations radio, aux leurres, aux systèmes de guerre électronique. Quand il frappe, c’est avec une force dévastatrice. Les explosifs embarqués, bien que modestes en quantité, sont placés avec une précision telle qu’ils causent des dégâts maximaux. Un système de défense aérienne touché au bon endroit devient inutilisable, même si la structure principale reste intacte.

Il y a quelque chose de profondément troublant dans cette asymétrie. Un drone à 1000 dollars qui détruit un système à 20 millions. C’est l’équivalent militaire d’un coup de judo parfait : utiliser la force de l’adversaire contre lui-même. Les Russes ont investi des milliards dans ces systèmes sophistiqués, et voilà qu’ils tombent sous les coups d’engins bricolés dans des ateliers ukrainiens. C’est humiliant pour Moscou, c’est révolutionnaire pour la doctrine militaire mondiale.

Le coût réel de la guerre technologique

Soixante millions de dollars en trois jours

Les chiffres donnent le vertige. Selon les estimations des forces armées ukrainiennes, le Tor-M2 coûte entre 25 et 30 millions de dollars l’unité. Le Buk-M1 est évalué à environ 15 millions de dollars, tandis que le Buk-M2, plus moderne, atteint les 20 à 25 millions de dollars. Au total, cette opération de trois jours a infligé à la Russie des pertes matérielles estimées entre 60 et 80 millions de dollars. Mais ces chiffres ne racontent qu’une partie de l’histoire. Car au-delà de la valeur marchande des équipements détruits, il faut considérer le coût de remplacement, le temps nécessaire pour fabriquer de nouveaux systèmes, la formation des équipages, l’intégration dans les réseaux de défense existants. Un système de défense aérienne n’est pas un simple véhicule qu’on peut remplacer du jour au lendemain. C’est un ensemble complexe de radars, de lanceurs, de missiles, de systèmes de communication, de véhicules de commandement. Chaque élément doit être produit, testé, assemblé. Les sanctions internationales compliquent encore la tâche : la Russie peine à se procurer certains composants électroniques essentiels, notamment les puces et les circuits intégrés de haute technologie. Elle doit puiser dans ses stocks soviétiques, remettre en service de vieux équipements, bricoler des solutions de fortune. Et pendant ce temps, l’Ukraine continue de frapper, méthodiquement, systématiquement, érodant jour après jour les capacités défensives russes.

L’équation économique qui change la donne

Parlons franchement : un drone FPV ukrainien coûte entre 750 et 1500 dollars à produire. Les modèles les plus sophistiqués, équipés de caméras thermiques et de systèmes de navigation avancés, peuvent atteindre 3000 à 5000 dollars. Même en comptant large, même en incluant les coûts de formation des opérateurs, de maintenance, de logistique, le rapport coût-efficacité reste hallucinant. Pour le prix d’un seul système Buk-M2, l’Ukraine peut produire entre 5000 et 30000 drones. Bien sûr, tous ne toucheront pas leur cible. Beaucoup seront abattus, d’autres perdront le signal, certains s’écraseront à cause d’une défaillance technique. Mais même avec un taux de réussite de 10%, les mathématiques restent implacables. Cette équation économique bouleverse les doctrines militaires établies depuis des décennies. Pendant la Guerre froide, les superpuissances investissaient dans des systèmes d’armes toujours plus coûteux, toujours plus sophistiqués. La logique était simple : qui possède la meilleure technologie gagne. Mais voilà que cette logique s’effondre face à des essaims de drones bon marché. Les États-Unis, qui observent attentivement cette guerre, tirent déjà des leçons. Le Pentagone a lancé plusieurs programmes pour développer des drones à bas coût, conscient que l’avenir des conflits passera par ces technologies accessibles et proliférantes.

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Les acteurs de l’ombre : qui sont ces chasseurs de systèmes antiaériens ?

Le bataillon Asgard et la 412e brigade Nemesis

Le nom sonne comme une référence à la mythologie nordique, et ce n’est pas un hasard. Le bataillon Asgard, unité d’élite de la 412e brigade Nemesis, s’est spécialisé dans la chasse aux systèmes de défense aérienne russes. Créé en 2024 dans le cadre de la réorganisation des Forces des systèmes sans pilote, ce bataillon regroupe des opérateurs triés sur le volet, des vétérans de la guerre des drones qui ont accumulé des centaines d’heures de vol et des dizaines de frappes réussies. Leur devise officieuse : « L’ennemi change de tactique, essaie de se cacher, mais en vain – nos représailles rattrapent leur cible. » Ces hommes et ces femmes – car oui, de nombreuses femmes servent dans ces unités – travaillent dans des conditions extrêmes. Ils opèrent souvent près des lignes de front, dans des bunkers improvisés, des sous-sols, des positions camouflées. Leurs équipements sont rudimentaires : des ordinateurs portables, des écrans, des antennes, des générateurs. Mais leur expertise est redoutable. Ils connaissent les systèmes russes par cœur, leurs points faibles, leurs modes opératoires, leurs signatures radar. Ils savent comment approcher un Tor-M2 sans se faire détecter, sous quel angle frapper un Buk pour maximiser les dégâts. Cette connaissance s’est construite au fil des mois, des échecs et des succès, des débriefings après chaque mission. La 412e brigade Nemesis, dont fait partie le bataillon Asgard, s’est forgé une réputation redoutable dans l’armée ukrainienne.

La collaboration inter-armes : une force multiplicatrice

Cette opération illustre parfaitement l’évolution de la doctrine militaire ukrainienne. Les trois systèmes de défense aérienne n’ont pas été détruits par une seule unité agissant seule, mais par une coordination étroite entre le bataillon Asgard, le 12e Centre à usage spécial et l’unité « Kabul 9 » du renseignement militaire ukrainien (HUR). Chaque acteur apporte ses compétences spécifiques : le HUR fournit le renseignement stratégique, identifie les cibles de haute valeur, analyse les mouvements ennemis ; le 12e Centre à usage spécial assure la coordination tactique, planifie les trajectoires d’approche, gère la logistique ; le bataillon Asgard exécute les frappes avec ses opérateurs de drones. Cette synergie transforme des unités déjà efficaces en une machine de guerre redoutablement précise. Les Russes, de leur côté, peinent à mettre en place une coordination similaire. Leur structure de commandement reste rigide, hiérarchisée, lente à s’adapter. Les différentes branches de l’armée communiquent mal entre elles, les informations circulent lentement, les décisions prennent du temps. Cette lourdeur bureaucratique, héritage de l’ère soviétique, devient un handicap majeur face à la flexibilité ukrainienne. Pendant que les Russes remplissent des formulaires et attendent des autorisations, les Ukrainiens frappent, se replient, frappent à nouveau.

Il y a une ironie cruelle dans tout ça. La Russie, qui se vante de sa puissance militaire, de ses armes hypersoniques, de ses systèmes ultra-sophistiqués, se fait démolir par des drones bricolés et une coordination d’unités qui ressemble plus à une start-up agile qu’à une armée traditionnelle. C’est David contre Goliath, mais David a appris à coder et Goliath est coincé dans ses procédures administratives.

La guerre des drones : une révolution tactique

De la reconnaissance à l’attaque : l’évolution fulgurante

Au début de l’invasion russe en février 2022, les drones servaient principalement à la reconnaissance. Des petits quadricoptères commerciaux, achetés sur Amazon ou dans des magasins d’électronique, survolaient les positions ennemies et transmettaient des images aux artilleurs. C’était déjà révolutionnaire : pour la première fois, des unités d’infanterie disposaient d’une vision aérienne en temps réel sans dépendre de l’aviation ou des satellites. Mais très vite, les Ukrainiens ont compris qu’ils pouvaient faire bien plus. Pourquoi se contenter d’observer quand on peut frapper ? Les premiers drones kamikazes sont apparus dès le printemps 2022 : des engins commerciaux modifiés, équipés de grenades ou de petites charges explosives, pilotés directement sur des cibles. L’efficacité était limitée, mais le concept était là. Puis sont venus les drones FPV, ces engins de course utilisés normalement pour des compétitions sportives, transformés en armes létales. Plus rapides, plus maniables, plus difficiles à intercepter que les quadricoptères classiques, ils sont devenus l’arme de prédilection pour les frappes de précision. En 2023, l’Ukraine a franchi un nouveau cap avec le développement de drones longue portée capables de frapper en profondeur sur le territoire russe. Des raffineries de pétrole, des aérodromes, des dépôts de munitions situés à des centaines de kilomètres du front ont été touchés. Et maintenant, en 2025, les drones ukrainiens chassent les systèmes de défense aérienne les plus sophistiqués de l’arsenal russe.

Les innovations technologiques qui changent la donne

La guerre en Ukraine est devenue un accélérateur d’innovation sans précédent. Les fabricants de drones ukrainiens, souvent de petites entreprises ou même des ateliers artisanaux, développent de nouvelles technologies à un rythme effréné. Les drones à fibre optique représentent l’une des avancées les plus significatives : au lieu d’utiliser une liaison radio qui peut être brouillée, ces engins déroulent un câble à fibre optique ultra-fin pendant leur vol. La communication devient alors impossible à perturber, le drone reste sous contrôle total de son opérateur jusqu’à l’impact. Les Russes ont beau saturer l’espace électromagnétique avec leurs systèmes de guerre électronique, ces drones passent au travers comme si de rien n’était. Autre innovation majeure : l’intelligence artificielle embarquée. Les derniers modèles de drones ukrainiens intègrent des systèmes de reconnaissance automatique de cibles, capables d’identifier un char, un véhicule blindé ou un système de défense aérienne sans intervention humaine. L’opérateur définit la zone de recherche, le drone fait le reste : il scanne le terrain, détecte les cibles potentielles, les classe par ordre de priorité et peut même décider de frapper de manière autonome si la liaison est coupée. Cette autonomie partielle rend les drones encore plus redoutables, car ils peuvent continuer leur mission même en cas de brouillage ou de perte de signal. Les systèmes de vision nocturne et thermique se sont également démocratisés : ce qui coûtait des dizaines de milliers de dollars il y a quelques années est maintenant disponible pour quelques centaines de dollars.

La réponse russe : entre adaptation et improvisation

Les contre-mesures qui ne suffisent plus

Face à la menace croissante des drones ukrainiens, la Russie a déployé un arsenal de contre-mesures. Les systèmes de guerre électronique se sont multipliés le long du front : des brouilleurs puissants qui saturent les fréquences radio, des systèmes de détection qui repèrent les signaux des drones, des lasers qui tentent d’aveugler les caméras. Les Russes ont également renforcé leurs défenses rapprochées avec des mitrailleuses antiaériennes, des canons automatiques, des filets de protection au-dessus des positions stratégiques. Certaines unités ont même recours à des méthodes artisanales : des cages métalliques soudées sur les tourelles des chars, des grillages tendus au-dessus des véhicules, des fumigènes déployés en permanence pour masquer les positions. Mais toutes ces mesures montrent leurs limites. Les drones à fibre optique ignorent le brouillage électronique. Les systèmes de détection peinent à repérer des engins volant à basse altitude et à grande vitesse. Les défenses rapprochées ne peuvent pas couvrir toutes les approches possibles. Et surtout, la prolifération des drones ukrainiens rend toute défense exhaustive impossible : on ne peut pas protéger chaque véhicule, chaque position, chaque système d’armes. Les Russes doivent faire des choix, prioriser, concentrer leurs moyens de protection sur les cibles les plus précieuses. Mais même ces cibles prioritaires ne sont plus à l’abri, comme le prouvent les destructions récentes de systèmes Buk et Tor.

Le problème de la production et du remplacement

Détruire un système de défense aérienne est une chose, le remplacer en est une autre. La Russie fait face à un problème de production croissant. Les usines qui fabriquent les Buk et les Tor tournent déjà à plein régime, mais elles ne peuvent pas suivre le rythme des pertes. Les sanctions internationales compliquent l’approvisionnement en composants électroniques essentiels : les puces, les processeurs, les capteurs de haute technologie qui équipent ces systèmes proviennent souvent de pays occidentaux ou asiatiques qui ont coupé leurs exportations vers la Russie. Moscou doit donc se tourner vers des circuits de contournement, acheter au marché noir, utiliser des composants de qualité inférieure. Le résultat est prévisible : les nouveaux systèmes produits sont moins fiables, moins performants que leurs prédécesseurs. Certains analystes estiment que la Russie a perdu plus de 30% de ses capacités de défense aérienne depuis le début de la guerre, une érosion qui s’accélère avec les frappes ukrainiennes de plus en plus précises. Pour compenser, les Russes puisent dans leurs stocks soviétiques, remettent en service de vieux systèmes S-300 et S-200 datant des années 1970 et 1980. Ces antiquités peuvent encore abattre des avions, mais elles sont vulnérables face aux drones modernes. C’est un cercle vicieux : plus la Russie perd de systèmes modernes, plus elle doit compter sur du matériel obsolète, plus elle devient vulnérable aux attaques ukrainiennes.

On assiste à une forme d’épuisement technologique. La Russie brûle son capital militaire accumulé pendant des décennies, et elle ne peut pas le reconstituer assez vite. C’est comme regarder un géant aux pieds d’argile qui s’effrite lentement mais sûrement. Chaque système détruit est une victoire tactique pour l’Ukraine, mais c’est aussi un signal stratégique : Moscou ne peut pas gagner cette guerre d’usure.

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L’impact stratégique : au-delà des chiffres

La dégradation progressive du bouclier antiaérien russe

Chaque système de défense aérienne détruit crée une brèche dans le dispositif défensif russe. Ces brèches ne sont pas seulement géographiques, elles sont aussi temporelles et opérationnelles. Géographiquement, la destruction d’un Tor-M2 ou d’un Buk laisse une zone non protégée, un couloir par lequel d’autres drones, d’autres missiles peuvent passer. Les Ukrainiens cartographient méticuleusement ces zones, identifient les failles, planifient leurs prochaines frappes en conséquence. Temporellement, le temps nécessaire pour déplacer un système de remplacement, le déployer, le calibrer, l’intégrer dans le réseau de défense existant crée une fenêtre de vulnérabilité que les Ukrainiens exploitent sans pitié. Opérationnellement, la perte de systèmes de défense aérienne force les Russes à redéployer leurs ressources, à dégarnir certains secteurs pour en protéger d’autres, à faire des choix difficiles entre la protection des troupes au front et celle des installations stratégiques à l’arrière. Cette dégradation progressive du bouclier antiaérien russe a des conséquences en cascade. Les avions de combat ukrainiens peuvent opérer plus librement dans certaines zones. Les drones de reconnaissance peuvent survoler les positions russes plus longtemps. Les frappes de missiles deviennent plus efficaces car moins interceptées. C’est un effet domino qui s’amplifie avec chaque nouveau système détruit.

Le message politique et psychologique

Au-delà de l’impact militaire direct, ces destructions de systèmes de défense aérienne envoient un message puissant. Aux Russes d’abord : votre armée n’est pas invincible, vos systèmes d’armes les plus sophistiqués peuvent être détruits par des drones bon marché, votre supériorité technologique supposée est un mythe. Ce message érode le moral des troupes russes, qui voient leurs protections s’effondrer une à une. Aux Ukrainiens ensuite : nous pouvons frapper l’ennemi en profondeur, nous pouvons détruire ses capacités offensives, nous avons les moyens de gagner cette guerre. Ce message renforce la détermination, justifie les sacrifices, maintient l’espoir. Aux alliés occidentaux enfin : l’aide que vous fournissez est efficace, les technologies que vous partagez font la différence, votre soutien n’est pas vain. Ce message encourage la poursuite de l’assistance militaire, facilite les livraisons d’armes, maintient la cohésion de la coalition anti-russe. Les Forces des systèmes sans pilote ukrainiennes l’ont bien compris : chaque vidéo de frappe réussie, chaque communiqué annonçant la destruction d’un système ennemi est aussi une arme dans la guerre de l’information. Ces images circulent sur les réseaux sociaux, sont reprises par les médias internationaux, alimentent les débats sur l’efficacité de l’aide occidentale à l’Ukraine.

Le financement participatif : quand les civils financent la guerre

L’exemple de Serhii Sternenko et la communauté des donateurs

Voici un détail qui pourrait passer inaperçu mais qui révèle une dimension fascinante de cette guerre : certains des drones qui ont détruit ces systèmes de défense aérienne russes ont été financés par des dons de civils. Serhii Sternenko, activiste ukrainien devenu l’un des plus grands collecteurs de fonds pour l’effort de guerre, a confirmé que sa communauté avait fourni des drones au bataillon Asgard spécifiquement pour ce type d’opérations. « Nous leur fournissons des drones sur demande individuelle spécifiquement pour accomplir de telles tâches », a-t-il écrit sur son canal Telegram après l’annonce des frappes réussies. Ce modèle de financement participatif s’est développé dès les premiers mois de la guerre. Des milliers d’Ukrainiens, mais aussi des sympathisants étrangers, contribuent régulièrement à des cagnottes en ligne pour acheter des drones, des équipements de vision nocturne, des systèmes de communication, des véhicules. Les sommes collectées se chiffrent en millions de dollars. Sternenko à lui seul a levé plus de 50 millions de dollars depuis le début de la guerre. D’autres collecteurs, comme le projet UNITED24 lancé par le président Zelensky, ont mobilisé des centaines de millions. Cette mobilisation civile transforme la nature même du conflit : ce n’est plus seulement une guerre entre deux armées, c’est une guerre où toute la société ukrainienne participe directement à l’effort militaire.

La démocratisation de la guerre moderne

Le financement participatif de drones militaires pose des questions philosophiques et éthiques profondes. Traditionnellement, la guerre était l’affaire des États, des gouvernements, des armées professionnelles. Les civils payaient des impôts, ces impôts finançaient l’armée, l’armée menait la guerre. La chaîne était claire, hiérarchisée, contrôlée. Mais voilà que cette chaîne se brise. Des civils peuvent maintenant financer directement des armes spécifiques, choisir quelles unités soutenir, suivre en temps réel l’utilisation de leurs dons. Un donateur qui contribue à l’achat d’un drone peut voir, quelques semaines plus tard, la vidéo de ce drone détruisant un char russe. Cette proximité entre le financeur et l’action militaire crée un lien émotionnel puissant, mais elle soulève aussi des questions. Qui décide de l’utilisation de ces armes ? Qui est responsable si un drone financé par des civils cause des dommages collatéraux ? Comment s’assurer que ces fonds ne sont pas détournés ? L’Ukraine a mis en place des mécanismes de contrôle, des audits, des rapports réguliers sur l’utilisation des dons. Mais la rapidité avec laquelle ce système s’est développé dépasse largement les cadres juridiques et éthiques existants. Nous assistons à une forme de démocratisation de la guerre, où la frontière entre combattants et non-combattants devient floue, où chaque citoyen peut devenir un acteur direct du conflit en cliquant sur un bouton de don.

C’est vertigineux quand on y pense. Un retraité à Lyon, un étudiant à Toronto, une infirmière à Tokyo peuvent contribuer à détruire un système de défense aérienne russe valant 30 millions de dollars. La guerre devient participative, crowdfundée, transparente. C’est à la fois fascinant et inquiétant. Fascinant parce que ça montre la puissance de la mobilisation collective. Inquiétant parce qu’on ne sait pas où ça nous mène.

Les précédents historiques et les leçons tactiques

Mai et août 2025 : une série de frappes dévastatrices

L’opération de novembre 2025 n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une campagne systématique de destruction des capacités de défense aérienne russes qui s’est intensifiée tout au long de l’année. En mai 2025, les Forces des systèmes sans pilote avaient déjà frappé fort : le bataillon Shadow de la 59e brigade d’assaut avait détruit deux systèmes Buk et un Tor, infligeant des pertes estimées à 50 millions de dollars. En août, la 412e brigade Nemesis avait anéanti deux Tor-M2, un Buk-M3 et un véhicule de commandement Buk-M2, pour un total de 80 à 100 millions de dollars de dégâts. Ces opérations répétées montrent une montée en compétence remarquable des unités ukrainiennes. Les tactiques se sont affinées, les procédures ont été optimisées, les taux de réussite ont augmenté. Ce qui était exceptionnel en 2023 est devenu routine en 2025. Les Ukrainiens ont développé une véritable doctrine de chasse aux systèmes de défense aérienne, avec des manuels de procédures, des formations spécialisées, des retours d’expérience systématiques après chaque mission. Cette institutionnalisation du savoir-faire transforme des succès tactiques ponctuels en une capacité stratégique durable. Les Russes, de leur côté, tentent de s’adapter : ils déplacent plus fréquemment leurs systèmes, les camouflent mieux, renforcent leur protection rapprochée. Mais chaque adaptation est contournée par une contre-adaptation ukrainienne dans un cycle sans fin.

Les leçons pour les armées du monde entier

Les états-majors du monde entier observent cette guerre avec une attention fébrile. Ce qui se passe en Ukraine redéfinit les doctrines militaires établies depuis des décennies. Première leçon : les systèmes de défense aérienne traditionnels, aussi sophistiqués soient-ils, sont vulnérables face à des essaims de drones bon marché. Cette vulnérabilité remet en question des investissements de plusieurs milliards de dollars dans des programmes d’armement. Les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Chine revoient leurs priorités budgétaires. Deuxième leçon : la guerre moderne exige une flexibilité et une capacité d’adaptation que les structures militaires traditionnelles peinent à fournir. Les armées doivent devenir plus agiles, plus décentralisées, plus innovantes. Troisième leçon : la technologie de pointe n’est plus l’apanage des grandes puissances. Des petits pays, des acteurs non-étatiques peuvent désormais accéder à des capacités militaires significatives grâce à des technologies commerciales détournées. Cette démocratisation de la puissance militaire bouleverse les équilibres géopolitiques. Quatrième leçon : la guerre de l’information est indissociable de la guerre cinétique. Chaque frappe réussie doit être documentée, communiquée, exploitée médiatiquement. Les Forces des systèmes sans pilote ukrainiennes excellent dans cet exercice, transformant chaque victoire tactique en gain stratégique.

Les implications pour l’avenir du conflit

L’escalade technologique inévitable

La destruction systématique des systèmes de défense aérienne russes va forcer Moscou à réagir. Plusieurs scénarios sont possibles. Premier scénario : la Russie accélère le développement de contre-mesures spécifiques anti-drones, investit massivement dans de nouveaux systèmes de détection et d’interception adaptés à cette menace. Mais cela prend du temps, des années de recherche et développement, des milliards de roubles que l’économie russe peine à mobiliser. Deuxième scénario : la Russie se tourne vers ses alliés, notamment la Chine et l’Iran, pour obtenir des technologies ou des équipements de remplacement. Mais ces transferts sont compliqués par les sanctions internationales et les réticences de certains partenaires à s’impliquer trop ouvertement. Troisième scénario : la Russie change de doctrine, abandonne l’idée de protéger tous ses actifs et concentre ses moyens de défense sur quelques sites absolument critiques. Cette approche minimaliste réduirait les pertes mais laisserait de vastes zones vulnérables. Quatrième scénario, le plus inquiétant : la Russie décide d’escalader, de frapper les centres de production de drones ukrainiens, les bases d’opérateurs, les infrastructures de commandement. Cette escalade pourrait entraîner une intensification générale du conflit avec des conséquences imprévisibles. Quel que soit le scénario, une chose est certaine : la guerre des drones va s’intensifier dans les mois à venir.

Le rôle croissant des frappes en profondeur

La destruction de systèmes de défense aérienne n’est pas une fin en soi, c’est un moyen. L’objectif stratégique des Ukrainiens est de créer des corridors aériens sécurisés pour mener des frappes encore plus profondes sur le territoire russe. Les attaques récentes contre des raffineries de pétrole, des aérodromes, des usines d’armement montrent cette évolution. Le 28 novembre 2025, le bataillon « Madyar’s Birds » a frappé la raffinerie de Saratov, l’une des plus importantes installations énergétiques russes. Quelques jours plus tôt, des drones ukrainiens avaient touché l’usine de production de drones « Orion » en Crimée. Ces frappes en profondeur ont un double objectif : militaire d’abord, en dégradant les capacités logistiques et industrielles russes ; psychologique ensuite, en montrant à la population russe que la guerre n’est pas une opération lointaine qui ne concerne que les soldats au front, mais un conflit qui peut frapper n’importe où, n’importe quand. Le commandant Robert « Madyar » Brovdi a d’ailleurs prévenu que les opérations allaient s’intensifier dans les semaines à venir, particulièrement contre le réseau énergétique russe. « L’essence devient un liquide rare dans les marécages, et le gaz et le pétrole sont hautement inflammables. Tout cela se dirige vers l’obscurité complète – un hiver froid et long. Ce qui vient ensuite sera plus intense et plus bruyant », a-t-il déclaré.

On entre dans une nouvelle phase de la guerre. Les Ukrainiens ne se contentent plus de défendre leur territoire, ils portent la guerre chez l’ennemi. Chaque raffinerie en flammes, chaque aérodrome touché, chaque usine détruite est un message : vous voulez la guerre ? Vous l’aurez, mais pas seulement au front, partout. C’est brutal, c’est implacable, c’est la logique même de la guerre totale.

Les défis techniques et opérationnels à venir

La course aux armements dans le domaine des drones

La guerre en Ukraine a déclenché une course aux armements dans le domaine des drones qui rappelle la course aux missiles de la Guerre froide. Chaque innovation d’un côté entraîne une contre-innovation de l’autre. Les Ukrainiens développent des drones à fibre optique ? Les Russes investissent dans des systèmes de détection optique et des lasers anti-drones. Les Russes déploient des brouilleurs plus puissants ? Les Ukrainiens créent des drones autonomes capables de fonctionner sans liaison radio. Cette spirale technologique s’accélère à un rythme vertigineux. Les cycles d’innovation qui prenaient des années dans les guerres précédentes se comptent maintenant en mois, voire en semaines. Les fabricants de drones ukrainiens sortent de nouveaux modèles tous les trimestres, intégrant les derniers retours du terrain, les dernières technologies disponibles. Cette agilité est leur force principale face à l’industrie militaire russe, plus lourde, plus bureaucratique, moins réactive. Mais cette course a un coût. Les ressources humaines et financières mobilisées pour développer, produire et déployer ces technologies sont considérables. L’Ukraine dépend largement de l’aide occidentale pour financer cette course, et toute réduction de cette aide pourrait compromettre son avantage technologique. Les Russes, de leur côté, doivent arbitrer entre investir dans de nouvelles technologies anti-drones et maintenir leurs capacités offensives traditionnelles.

Les limites de la stratégie ukrainienne

Aussi impressionnants que soient les succès ukrainiens dans la guerre des drones, cette stratégie a ses limites. Première limite : la production. Même si les drones sont bon marché, leur fabrication en masse nécessite des ressources, des composants, des chaînes d’assemblage. L’Ukraine produit actuellement plusieurs milliers de drones par mois, mais ce chiffre reste insuffisant pour saturer complètement les défenses russes. Deuxième limite : la formation. Former un opérateur de drone compétent prend du temps, plusieurs mois d’entraînement intensif. Le turnover est élevé, le stress opérationnel important, l’épuisement fréquent. Troisième limite : la dépendance aux technologies étrangères. Beaucoup de composants essentiels – caméras, processeurs, batteries – proviennent de l’étranger, principalement de Chine et de pays asiatiques. Toute interruption de ces approvisionnements pourrait paralyser la production. Quatrième limite : l’adaptation russe. Les Russes apprennent, lentement mais sûrement. Leurs contre-mesures deviennent plus efficaces, leurs tactiques s’améliorent, leurs pertes diminuent. Ce qui fonctionnait en 2023 fonctionne moins bien en 2025. Les Ukrainiens doivent constamment innover pour maintenir leur avantage, et cette course permanente est épuisante. Cinquième limite : la dimension psychologique. Les opérateurs de drones, malgré la distance physique avec le combat, souffrent de stress post-traumatique. Voir des hommes mourir à travers un écran, même si ce sont des ennemis, laisse des traces.

Le contexte géopolitique et les réactions internationales

L’intérêt des puissances occidentales

Les succès ukrainiens dans la guerre des drones ne passent pas inaperçus dans les capitales occidentales. Le Pentagone a envoyé plusieurs délégations en Ukraine pour étudier les tactiques employées, les technologies utilisées, les leçons à tirer. L’armée américaine, qui a investi des milliards dans des drones sophistiqués comme les Predator et les Reaper, réalise que l’avenir pourrait appartenir à des essaims de petits drones bon marché plutôt qu’à quelques plateformes coûteuses. Plusieurs programmes de recherche ont été lancés pour développer des « drones jetables » capables de saturer les défenses ennemies. Le Royaume-Uni a annoncé en novembre 2025 qu’il allait produire en masse le drone ukrainien OCTOPUS, une reconnaissance explicite de la supériorité des designs ukrainiens. La France, l’Allemagne, la Pologne suivent des démarches similaires. Cette diffusion de technologies et de doctrines ukrainiennes vers les armées de l’OTAN marque un renversement historique : traditionnellement, c’était l’Occident qui formait et équipait les armées alliées ; aujourd’hui, c’est l’Ukraine qui enseigne à l’OTAN comment mener une guerre moderne. Cette inversion des rôles reflète une réalité brutale : l’Ukraine est le seul pays occidental à mener une guerre de haute intensité contre une puissance majeure, et cette expérience du combat réel vaut plus que toutes les simulations et les exercices.

Les inquiétudes sur la prolifération

Mais cette démocratisation de la technologie des drones inquiète aussi. Si des ateliers ukrainiens peuvent produire des drones capables de détruire des systèmes de défense aérienne valant des dizaines de millions de dollars, qu’est-ce qui empêche des groupes terroristes, des cartels de la drogue, des milices de faire de même ? Les composants nécessaires sont disponibles sur le marché civil, les plans de fabrication circulent sur internet, le savoir-faire se diffuse. Plusieurs incidents récents ont montré que cette crainte n’est pas théorique : des drones armés ont été utilisés par des cartels mexicains, des groupes djihadistes au Moyen-Orient, des séparatistes en Afrique. La guerre en Ukraine sert de vitrine technologique, de démonstration grandeur nature des capacités de ces armes. Les services de renseignement occidentaux surveillent avec inquiétude la diffusion de ces technologies vers des acteurs hostiles. Des discussions sont en cours pour établir des contrôles à l’exportation sur certains composants critiques, mais la nature même de ces technologies – basées sur des produits commerciaux largement disponibles – rend tout contrôle difficile. C’est le paradoxe de l’innovation militaire moderne : ce qui donne un avantage tactique aujourd’hui peut devenir une menace stratégique demain quand ces technologies se répandent.

On ouvre la boîte de Pandore. Les drones armés bon marché vont se répandre partout, c’est inévitable. Dans dix ans, chaque conflit, chaque insurrection, chaque guerre civile verra des essaims de drones s’affronter dans le ciel. C’est terrifiant, mais c’est aussi fascinant. On assiste à la naissance d’une nouvelle forme de guerre, et personne ne sait vraiment où ça va nous mener.

Les perspectives d’évolution du conflit

Vers une guerre d’usure technologique

Le conflit en Ukraine s’installe dans la durée, et la guerre des drones devient un élément central de cette guerre d’usure. Chaque jour, des centaines de drones sont lancés de part et d’autre du front. Certains accomplissent leur mission, d’autres sont abattus, beaucoup se perdent ou tombent en panne. C’est une consommation massive de matériel qui exige une production industrielle soutenue. L’Ukraine a transformé son économie pour répondre à cette demande : des usines reconverties, des ateliers créés, des chaînes d’assemblage improvisées. Le pays produit maintenant plus de drones qu’il n’en produisait de voitures avant la guerre. Cette mobilisation industrielle rappelle celle des guerres mondiales, quand des économies entières étaient réorientées vers l’effort de guerre. Mais avec une différence majeure : la production de drones est décentralisée, distribuée, résiliente. Il n’y a pas une grande usine qu’on peut bombarder pour paralyser la production, mais des dizaines de petits ateliers dispersés sur tout le territoire. Cette décentralisation rend la production ukrainienne difficile à cibler pour les Russes. La Russie, de son côté, développe aussi sa production de drones, notamment en important des modèles iraniens Shahed et en développant ses propres versions. Mais elle reste en retard sur l’Ukraine en termes d’innovation et d’adaptation tactique.

L’impact sur les négociations de paix

Les succès militaires ukrainiens, notamment dans la guerre des drones, influencent directement les perspectives de négociations de paix. Chaque système de défense aérienne russe détruit, chaque raffinerie touchée, chaque aérodrome endommagé renforce la position de négociation de Kyiv. Le message est clair : l’Ukraine peut infliger des coûts croissants à la Russie, elle peut frapper en profondeur, elle peut maintenir la pression indéfiniment. Cette capacité de nuisance donne à l’Ukraine un levier de négociation qu’elle n’avait pas au début de la guerre. Moscou ne peut plus espérer une victoire militaire rapide, elle doit envisager un conflit long et coûteux. Les déclarations récentes du président Poutine, qui pose des conditions de plus en plus strictes pour des négociations, reflètent cette réalité : la Russie cherche à obtenir par la diplomatie ce qu’elle ne peut plus gagner sur le terrain. Mais l’Ukraine, forte de ses succès tactiques, n’est pas pressée de négocier. Pourquoi accepter des compromis quand la tendance militaire est favorable ? Cette dynamique rend toute perspective de paix négociée difficile à court terme. Le conflit risque de s’enliser dans une guerre d’usure où chaque camp espère épuiser l’autre, militairement, économiquement, psychologiquement.

Les dimensions éthiques et juridiques

Les zones grises du droit international

L’utilisation massive de drones dans ce conflit soulève des questions juridiques complexes. Le droit international humanitaire impose des règles strictes sur la conduite des hostilités : distinction entre combattants et civils, proportionnalité des attaques, précautions dans le choix des moyens et méthodes de guerre. Mais comment appliquer ces règles à des drones autonomes ou semi-autonomes ? Qui est responsable si un drone frappe la mauvaise cible ? L’opérateur qui l’a lancé ? Le commandant qui a donné l’ordre ? Le programmeur qui a écrit l’algorithme de reconnaissance de cibles ? Ces questions ne sont pas théoriques. Plusieurs incidents ont déjà eu lieu où des drones ont frappé des cibles civiles, causant des pertes collatérales. Les deux camps s’accusent mutuellement de violations du droit de la guerre, mais les enquêtes sont difficiles, les preuves souvent insuffisantes. L’utilisation de drones financés par des civils complique encore la situation : ces civils deviennent-ils des combattants au sens du droit international ? Peuvent-ils être ciblés par l’ennemi ? Sont-ils protégés par les conventions de Genève ? Le droit international, élaboré à une époque où la guerre était l’affaire des États et des armées régulières, peine à s’adapter à cette nouvelle réalité où la frontière entre combattants et non-combattants devient floue.

Le débat sur les armes autonomes

L’évolution des drones ukrainiens vers plus d’autonomie relance le débat sur les « robots tueurs », ces armes capables de sélectionner et d’engager des cibles sans intervention humaine. Plusieurs organisations internationales, dont le Comité international de la Croix-Rouge, appellent à interdire ces armes, arguant qu’elles violent le principe de dignité humaine et rendent impossible l’attribution de responsabilité en cas de crimes de guerre. Mais la réalité du terrain pousse dans la direction opposée. Les drones autonomes sont plus efficaces, plus difficiles à contrer, moins vulnérables au brouillage. Ils permettent de frapper des cibles que des drones pilotés ne pourraient pas atteindre. Cette efficacité militaire l’emporte, pour l’instant, sur les considérations éthiques. L’Ukraine argue que ces technologies sont nécessaires pour sa survie face à un ennemi plus puissant. La Russie développe ses propres systèmes autonomes. Les autres pays observent et tirent leurs conclusions. Le risque est que cette guerre établisse un précédent, normalise l’utilisation d’armes autonomes, ouvre la voie à une prolifération incontrôlée. Dans dix ans, des drones autonomes pourraient être aussi courants sur les champs de bataille que les mitrailleuses aujourd’hui. Et personne ne sait vraiment comment contrôler cette évolution.

On franchit des lignes rouges sans même s’en rendre compte. Chaque innovation, chaque nouveau système, chaque amélioration technologique nous éloigne un peu plus d’une guerre où les humains gardent le contrôle. Bientôt, ce seront des algorithmes qui décideront qui vit et qui meurt. C’est vertigineux, et personne ne semble vraiment mesurer les implications à long terme.

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Les témoignages du terrain : la réalité derrière les chiffres

La vie quotidienne des opérateurs de drones

Derrière les statistiques impressionnantes, derrière les vidéos spectaculaires de frappes réussies, il y a des hommes et des femmes qui vivent cette guerre au quotidien. Les opérateurs de drones des Forces des systèmes sans pilote ukrainiennes travaillent dans des conditions extrêmes. Leurs postes de commandement sont souvent des bunkers improvisés, des sous-sols, des positions camouflées près du front. L’équipement est rudimentaire : des tables pliantes, des chaises de camping, des générateurs qui ronronnent en permanence. Les écrans sont protégés de la lumière extérieure par des bâches, les antennes sont dissimulées dans la végétation. Le travail est épuisant : des shifts de 12 heures, parfois plus, les yeux rivés sur les écrans, les mains crispées sur les manettes. La concentration doit être totale, une seconde d’inattention peut faire échouer une mission qui a demandé des jours de préparation. Le stress est permanent : à tout moment, une frappe d’artillerie russe peut tomber sur la position, un drone ennemi peut repérer l’antenne, une patrouille peut surgir. Les opérateurs dorment peu, mangent mal, vivent dans une tension constante. Beaucoup développent des troubles du sommeil, des crises d’anxiété, des symptômes de stress post-traumatique. Car même si la distance physique avec le combat est réelle, la distance psychologique est faible. Ils voient tout, en haute définition, en temps réel.

L’évolution des mentalités et des compétences

Les premiers opérateurs de drones ukrainiens étaient souvent des amateurs, des passionnés de modélisme, des gamers reconvertis. Ils ont appris sur le tas, par essais et erreurs, en s’inspirant de tutoriels YouTube et de forums en ligne. Trois ans plus tard, le profil a changé. Les Forces des systèmes sans pilote recrutent maintenant des profils spécifiques : des ingénieurs, des informaticiens, des pilotes, des techniciens. La formation est structurée, professionnalisée, avec des programmes de plusieurs mois qui couvrent tous les aspects du métier : pilotage, maintenance, tactique, renseignement, communication. Les meilleurs opérateurs deviennent des instructeurs, transmettent leur savoir-faire, forment les nouvelles recrues. Une véritable culture professionnelle s’est développée, avec ses codes, ses rituels, ses héros. Les opérateurs qui ont réussi des frappes particulièrement difficiles sont célébrés, leurs pseudonymes circulent sur les réseaux sociaux, leurs exploits sont racontés dans les unités. Cette professionnalisation transforme ce qui était au départ une improvisation brillante en une capacité militaire durable. Les Ukrainiens ne se contentent plus de réagir, ils anticipent, planifient, innovent. Ils ont créé une véritable école de guerre des drones, et cette école attire maintenant l’attention du monde entier.

Conclusion : un tournant dans l’histoire militaire

Les leçons d’une révolution tactique

La destruction de trois systèmes de défense aérienne russes en trois jours pour un coût de 60 millions de dollars n’est pas qu’un fait d’armes impressionnant. C’est le symbole d’une révolution militaire en cours, une révolution qui redéfinit les équilibres de puissance, les doctrines tactiques, les investissements stratégiques. Les armées du monde entier observent, analysent, tirent des conclusions. La guerre en Ukraine est devenue un laboratoire grandeur nature où se testent les technologies et les tactiques du futur. Et les leçons sont claires : la sophistication technologique ne garantit plus la supériorité militaire ; l’agilité, l’innovation, la capacité d’adaptation comptent autant sinon plus que la puissance brute ; les technologies commerciales détournées peuvent rivaliser avec les systèmes militaires les plus avancés ; la décentralisation et la résilience l’emportent sur la concentration et la hiérarchie. Ces leçons bouleversent des décennies de pensée militaire. Les généraux qui ont grandi avec la doctrine de la guerre froide, qui ont été formés à commander de grandes unités blindées, qui croient en la supériorité de la technologie occidentale, doivent repenser leurs certitudes. La guerre du XXIe siècle ne ressemblera pas à celle du XXe. Elle sera plus rapide, plus distribuée, plus technologique, mais aussi plus accessible, plus démocratisée, plus imprévisible.

L’avenir incertain d’un conflit qui se transforme

Alors que l’année 2025 touche à sa fin, le conflit en Ukraine entre dans sa quatrième année sans perspective de résolution rapide. Les frappes de drones ukrainiens s’intensifient, les pertes russes s’accumulent, mais Moscou ne montre aucun signe de volonté de négocier sérieusement. Le président Poutine continue de poser des conditions inacceptables pour Kyiv, exigeant le retrait des forces ukrainiennes des territoires que la Russie revendique. L’Ukraine, forte de ses succès tactiques, refuse tout compromis territorial. Cette impasse diplomatique condamne les deux pays à poursuivre une guerre d’usure dont personne ne peut prédire l’issue. Les Forces des systèmes sans pilote ukrainiennes continueront de frapper, de détruire, d’innover. Les Russes continueront de s’adapter, de renforcer leurs défenses, de chercher des parades. La spirale technologique s’accélérera, les coûts humains et matériels augmenteront, l’épuisement des deux sociétés s’approfondira. Et pendant ce temps, le reste du monde observe, apprend, se prépare. Car ce qui se joue en Ukraine aujourd’hui préfigure les conflits de demain. Les drones, les systèmes autonomes, la guerre électronique, les frappes de précision à longue distance – tout cela deviendra la norme. Les armées qui ne s’adapteront pas seront dépassées. Les pays qui ne maîtriseront pas ces technologies seront vulnérables. La guerre en Ukraine n’est pas seulement un conflit régional, c’est un aperçu du futur de la guerre. Et ce futur est déjà là.

Trois systèmes détruits, 60 millions de dollars, trois jours. Ces chiffres résonnent comme un glas pour les doctrines militaires traditionnelles. On assiste à la fin d’une époque et au début d’une autre. Et personne, absolument personne, ne peut prédire où tout cela nous mènera. Mais une chose est sûre : le monde militaire ne sera plus jamais le même après cette guerre. Les drones ont changé la donne. Pour toujours.

Chronique : Trois frappes, 60 millions de dollars, les drones ukrainiens pulvérisent la défense russe

Sources et réféences

Sources primaires

Les informations contenues dans cet article proviennent de plusieurs sources primaires vérifiées. Les Forces des systèmes sans pilote ukrainiennes ont publié le 28 novembre 2025 un communiqué officiel sur leur canal Telegram annonçant la destruction de trois systèmes de défense aérienne russes : un Buk-M1, un Buk-M2 et un Tor-M2. Ce communiqué a été relayé par plusieurs médias ukrainiens dont Ukrinform, Kyiv Post et United24 Media. Les vidéos des frappes, bien que partiellement censurées pour ne pas révéler les méthodes opérationnelles, ont été publiées sur les réseaux sociaux officiels des unités impliquées. L’activiste Serhii Sternenko a confirmé sur son canal Telegram que sa communauté avait financé certains des drones utilisés dans ces opérations. Les estimations de coût des systèmes détruits proviennent des évaluations officielles de l’armée ukrainienne, corroborées par des analyses d’experts militaires indépendants. Les opérations précédentes de mai et août 2025 ont été documentées par les mêmes sources, avec des communiqués officiels et des vidéos de confirmation.

Sources secondaires et analyses

Plusieurs médias internationaux ont couvert ces événements, apportant des analyses complémentaires. Business Insider a publié le 17 février 2025 un article détaillé sur une opération similaire menée par l’unité Ronin de la 65e brigade mécanisée, qui avait détruit trois systèmes de défense aérienne en une seule journée. Kyiv Post a publié le 18 septembre 2025 un article analysant l’impact stratégique de la destruction de systèmes Tor-M2 et Buk par la 412e brigade Nemesis en août 2025. United24 Media a fourni plusieurs articles techniques sur les caractéristiques des systèmes Buk et Tor, leurs coûts estimés et leur rôle dans la défense aérienne russe. Des analyses d’experts militaires occidentaux, notamment de l’Institute for the Study of War et du Royal United Services Institute, ont fourni le contexte stratégique et les implications à long terme de ces opérations. Les informations sur le financement participatif proviennent des rapports publics de Sternenko et d’autres collecteurs de fonds ukrainiens, ainsi que des données de la plateforme UNITED24. Les données sur la production de drones et l’évolution technologique proviennent d’interviews d’industriels ukrainiens et de rapports du ministère de la Défense ukrainien publiés tout au long de l’année 2025.

Ce contenu a été créé avec l'aide de l'IA.

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