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Quand l’acier se brise contre la glace : l’Ukraine face à l’implacable vérité russe
Crédit: Adobe Stock

L’annexion éclair qui a changé l’Europe

Février 2014. L’Ukraine sort à peine de la révolution de Maïdan. Le président pro-russe Viktor Ianoukovitch a fui vers Moscou. Un gouvernement de transition se met en place à Kiev. L’espoir d’un rapprochement avec l’Europe renaît. Mais à Moscou, Vladimir Poutine voit les choses différemment. Pour lui, la chute de Ianoukovitch n’est pas une révolution populaire, mais un coup d’État orchestré par l’Occident. Une menace existentielle pour la Russie. Une ligne rouge franchie. Sa réaction sera foudroyante. Dans la nuit du 27 au 28 février, des hommes armés en uniformes sans insignes prennent le contrôle du parlement de Crimée et des principaux bâtiments gouvernementaux de Simferopol. Ces « petits hommes verts », comme les appellera la presse, sont en réalité des soldats russes des forces spéciales. Leur mission : sécuriser la péninsule avant que Kiev ne puisse réagir. En quelques jours, tous les points stratégiques de Crimée sont sous contrôle russe. Les bases militaires ukrainiennes sont encerclées. Les soldats ukrainiens, pris au dépourvu, sont sommés de se rendre ou de rejoindre l’armée russe. La plupart choisissent de partir, abandonnant leurs armes et leur matériel. Le 16 mars, un référendum est organisé. Selon les autorités russes, 96,77% des votants se prononcent pour le rattachement à la Russie. Un chiffre grotesque qui ne trompe personne, mais qui donne une apparence de légitimité à l’annexion. Deux jours plus tard, Poutine signe le traité d’annexion de la Crimée. L’opération aura duré moins d’un mois. Sans un coup de feu, ou presque. Une démonstration de force parfaitement exécutée qui laisse le monde stupéfait.

Cette annexion de la Crimée marque un tournant historique. C’est la première fois depuis 1945 qu’une puissance européenne annexe par la force le territoire d’un autre État souverain. C’est la fin de l’ordre international établi après la Seconde Guerre mondiale. C’est le retour de la loi du plus fort en Europe. Mais c’est aussi, et surtout, la première démonstration de ce qui deviendra la marque de fabrique de Poutine : l’audace combinée à la détermination absolue. L’Occident proteste, bien sûr. Des sanctions sont imposées. La Russie est exclue du G8. Des avoirs sont gelés. Mais ces mesures sont largement symboliques. Elles ne changent rien sur le terrain. La Crimée reste russe. Et Poutine en tire une conclusion fatale : l’Occident ne fera rien pour défendre l’Ukraine. Il peut parler, condamner, sanctionner. Mais il n’agira pas militairement. Cette conviction va le pousser à aller plus loin. Beaucoup plus loin. Car si l’Occident a accepté l’annexion de la Crimée, pourquoi n’accepterait-il pas celle du Donbass ? Pourquoi pas celle de toute l’Ukraine orientale ? Cette escalade progressive, cette logique du salami qui consiste à grignoter territoire après territoire en testant à chaque fois la réaction occidentale, va conduire directement à l’invasion de février 2022. Mais en 2014, personne ne le voit encore. On se dit que Poutine s’est contenté de la Crimée, que c’est un cas particulier en raison de la base navale de Sébastopol, que ça n’ira pas plus loin. On se trompe. Lourdement.

Le Donbass s’embrase : quand la guerre hybride devient réalité

Avril 2014. À peine deux mois après l’annexion de la Crimée, la guerre éclate dans le Donbass. Des groupes armés pro-russes s’emparent de bâtiments gouvernementaux à Donetsk, Louhansk, Sloviansk et d’autres villes de l’est ukrainien. Ils proclament des « républiques populaires » et demandent leur rattachement à la Russie. Le scénario semble se répéter. Mais cette fois, Kiev réagit. Le gouvernement ukrainien lance une « opération antiterroriste » pour reprendre le contrôle de ces régions. Les combats commencent. D’abord sporadiques, puis de plus en plus intenses. Ce qui devait être une opération de police se transforme rapidement en guerre ouverte. Car contrairement à ce que prétend Moscou, les séparatistes ne sont pas de simples miliciens locaux. Ce sont des combattants aguerris, équipés d’armes lourdes, soutenus par des conseillers militaires russes et, de plus en plus, par des soldats russes réguliers déguisés en volontaires. Les preuves s’accumulent. Des chars T-72B3, un modèle utilisé uniquement par l’armée russe, apparaissent sur le champ de bataille. Des systèmes de défense antiaérienne Buk, capables d’abattre des avions à haute altitude, sont déployés. Le 17 juillet 2014, l’un de ces systèmes abat le vol MH17 de Malaysia Airlines, tuant les 298 personnes à bord. Une tragédie qui révèle au monde l’ampleur de l’implication russe dans le conflit. Mais Moscou nie. Toujours. Systématiquement. Ce ne sont pas nos soldats. Ce ne sont pas nos armes. Nous ne sommes pas en guerre contre l’Ukraine. Un mensonge éhonté que personne ne croit, mais qui permet à Poutine de maintenir une fiction de déni plausible.

L’été 2014 voit l’armée ukrainienne reprendre progressivement du terrain. Les séparatistes reculent. Sloviansk est libérée en juillet. D’autres villes suivent. Pour la première fois depuis le début du conflit, il semble que Kiev puisse l’emporter militairement. Mais en août, tout bascule. Des colonnes de blindés russes franchissent la frontière. Pas des « volontaires » cette fois. Pas des « conseillers ». Des unités régulières de l’armée russe, avec leur artillerie lourde, leurs systèmes de missiles, leur puissance de feu écrasante. L’offensive russe est dévastatrice. En quelques jours, l’armée ukrainienne perd des centaines d’hommes et des dizaines de véhicules. La bataille d’Ilovaïsk, fin août, se transforme en massacre. Des centaines de soldats ukrainiens sont tués alors qu’ils tentent de se retirer d’une poche encerclée. Les survivants parlent de colonnes entières anéanties par l’artillerie russe. De soldats abattus alors qu’ils se rendaient. De prisonniers exécutés. Cette défaite marque un tournant. Elle prouve que la Russie est prête à intervenir directement, massivement, pour empêcher une victoire ukrainienne. Elle prouve aussi que l’armée ukrainienne de 2014, mal équipée et mal entraînée, ne fait pas le poids face à la machine de guerre russe. Les accords de Minsk sont signés en septembre, puis à nouveau en février 2015 après de nouveaux combats meurtriers. Ils établissent une ligne de cessez-le-feu, prévoient le retrait des armes lourdes, promettent une solution politique. Mais ils ne seront jamais vraiment appliqués. La guerre continue, à basse intensité. Les bombardements sporadiques. Les tirs de snipers. Les mines. Jour après jour, semaine après semaine, année après année. Une guerre gelée qui fait des morts quotidiennement, mais que le monde finit par oublier.

Les leçons ignorées d’un conflit oublié

Entre 2014 et 2022, la guerre du Donbass tue plus de 14 000 personnes. Des soldats, majoritairement. Mais aussi des civils. Des enfants qui jouent sur des mines. Des personnes âgées tuées par des obus perdus. Des familles déchirées par un conflit qui ne dit pas son nom. Car officiellement, il n’y a pas de guerre. Juste une « opération antiterroriste » côté ukrainien. Juste des « volontaires » côté russe. Une fiction que tout le monde maintient parce qu’elle arrange tout le monde. Kiev parce qu’une guerre ouverte avec la Russie serait catastrophique. Moscou parce que le déni permet d’éviter de nouvelles sanctions. L’Occident parce qu’il n’a aucune envie de s’impliquer militairement. Pendant ces huit années, l’Ukraine se transforme. Son armée, humiliée en 2014, se professionnalise. Elle adopte les standards de l’OTAN. Elle reçoit des formations, des équipements, des armes. Les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni envoient des instructeurs. Des exercices conjoints sont organisés. L’armée ukrainienne de 2022 n’a plus rien à voir avec celle de 2014. C’est une force moderne, bien entraînée, motivée. Mais surtout, c’est une armée qui a appris à combattre les Russes. Qui connaît leurs tactiques. Leurs faiblesses. Leurs méthodes. Cette expérience sera cruciale en février 2022.

Mais l’Ukraine apprend aussi une autre leçon, plus amère. Elle apprend que la Russie ne renonce jamais. Que les accords ne sont pour Moscou que des pauses tactiques. Que les cessez-le-feu ne sont que des occasions de se réarmer. Que les négociations ne sont que des écrans de fumée pour gagner du temps. Pendant huit ans, Kiev espère une solution diplomatique. Pendant huit ans, elle croit que les accords de Minsk finiront par être appliqués. Pendant huit ans, elle se berce d’illusions. Car Poutine, lui, n’a jamais eu l’intention d’appliquer ces accords. Pour lui, ils ne sont qu’un moyen de geler le conflit, de maintenir une pression permanente sur l’Ukraine, d’empêcher son intégration à l’OTAN et à l’Union européenne. Le Donbass n’est pas un objectif en soi. C’est un outil. Un levier. Une épine plantée dans le flanc de l’Ukraine pour l’empêcher de s’échapper de l’orbite russe. Cette stratégie fonctionne pendant huit ans. Mais en 2021, Poutine décide que ce n’est plus suffisant. Que l’Ukraine s’éloigne trop vite. Que le temps joue contre lui. Qu’il faut frapper un grand coup. Définitif. Il commence à masser des troupes à la frontière. D’abord discrètement. Puis de plus en plus ouvertement. En novembre 2021, les satellites américains détectent plus de 100 000 soldats russes déployés autour de l’Ukraine. Les services de renseignement occidentaux tirent la sonnette d’alarme. Une invasion est imminente. Mais beaucoup n’y croient pas. Pas après huit ans de guerre gelée. Pas après les accords de Minsk. Poutine bluffe, disent-ils. Il veut juste faire pression pour obtenir des concessions. Il n’osera jamais lancer une invasion à grande échelle. Ils se trompent. Le 24 février 2022, à l’aube, les missiles russes pleuvent sur l’Ukraine.

Sources

Sources primaires

Amnesty International France, « En Ukraine, la guerre russe a débuté en 2014, et non en 2022 », publié le 22 février 2024. Le Grand Continent, « Guerre en Ukraine: 2022-2025, une chronologie du front », publié le 24 février 2025. Courrier International, « Guerre en Ukraine : une étude estime à 1,4 million le nombre de soldats tués ou blessés », publié le 4 juin 2025. Center for Strategic and International Studies (CSIS), rapport sur les pertes militaires en Ukraine, juin 2025.

Sources secondaires

The New York Times, analyses sur les pertes russes et ukrainiennes, 2024-2025. BBC News, « Comment la Russie a subi des pertes record en 2024 », 2024. The Economist, « Putin’s sickening statistic: 1m Russian casualties in Ukraine », 2025. Ukrinform, rapports quotidiens sur les pertes russes, 2024-2025. Institut français des relations internationales (IFRI), études sur la culture stratégique russe, 2024. Revue Conflits, « La guerre russe. Constantes et nouveautés », 2024.

Ce contenu a été créé avec l'aide de l'IA.

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