Aller au contenu
Incendie invisible : l’assaut massif des drones ukrainiens sur les raffineries de Ryazan et Novokuibyshevsk bouleverse le cœur industriel russe
Credit: Adobe Stock

L’irruption du feu au centre de Ryazan

C’est d’abord un grondement, à peine distinct du ronronnement habituel des machines. Puis la lumière bascule : derrière l’immense silhouette de la raffinerie de Ryazan, une gerbe de flammes ondule, déchirant l’aube avant l’heure. Subitement, la certitude d’être loin du front éclate, pulvérisée par le bourdonnement sourd d’un drone chargé d’explosifs. Les alarmes, d’abord timides, saturent l’air, réveillent une ville convaincue jusque-là que la guerre appartenait à d’autres. Les pompiers risquent tout, luttent contre un incendie qui lèche réservoirs, pipelines, déverse l’odeur âcre d’un pétrole en surchauffe. Les habitants filment, tétanisés, la colonne de fumée noire. L’infrastructure, pilier de l’économie énergétique russe, vacille. On murmure le mot : sabotage. Non, frappe. La vulnérabilité devient le seul mot d’ordre.

Les premiers bilans sont lapidaires : opérations suspendues, dégâts majeurs. Le ministre régional bredouille, promet que le pire « sera maîtrisé d’ici quelques heures ». Mais la vérité, dans les rues, c’est une tension du quotidien brisé : métro à l’arrêt, écoles fermées, prix de l’essence qui bondit dans l’ombre du feu. La Russie découvre, effarée, ce que c’est que d’être l’enjeu, la proie, l’avant-poste. Les réseaux, saturés de témoignages, oscillent entre colère et résignation impuissante.

La surprise n’est pas seulement dans le fracas. C’est le symbole qui blesse : la raffinerie de Ryazan, pourtant à des centaines de kilomètres du front ukrainien, est frappée aussi simplement qu’une cible déserte, comme si la distance ne protégeait plus rien. Cette nuit, c’est la Russie profonde qui se découvre combustible, vulnérable. Le décor a changé : chaque bruit dans le ciel est suspect. L’inquiétude ne dormira plus jamais tranquille dans la région.

Novokuibyshevsk : l’épicentre industriel paré en torche

Lorsque la première alerte grésille à l’aube, les habitants de Novokuibyshevsk, à deux pas de Samara, pensent d’abord à une simple coupure. Mais très vite, l’évidence les écrase : un drone a franchi toutes les défenses – une boule de feu, haute de plus de 300 mètres selon les témoins, gronde autour de la plus grande raffinerie de la Volga, propriété de Rosneft. C’est un monstre industriel, cœur logistique de Moscou, qui vacille. Les secours, dépassés, affrontent l’enfer liquide. Les chaînes Telegram regorgent de vidéos montrant la nuit transformée en plein jour par l’incendie, la fuite des employés, l’angoisse soudaine de l’effondrement d’un quartier entier.

Les experts accourent, dénoncent la vétusté des défenses aériennes, la faiblesse de la doctrine anti-drone russe qui, version après version, n’a jamais anticipé une telle audace tactique. Le trafic ferroviaire, gorgé d’hydrocarbures, s’arrête net. La raffinerie faisait tourner bien plus que la ville : elle alimentait l’armée, la flotte, la production des machines de guerre. La guerre est désormais partout, même dans les valves, les compteurs, les studios de télévision où personne n’ose dire le mot « défaite » à voix haute.

La Russie a bâti, à Novokuibyshevsk, l’un de ses temples industriels. Ce matin-là, ce temple n’est plus qu’une ruine ardente, un avertissement, une scène digne d’un désastre hollywoodien mais vécu, cette fois, de l’intérieur. La sidération se fait collective : et si demain, toutes les mains production tombaient en panne ?

Un signal implacable pour la profondeur stratégique russe

Ryazan et Novokuibyshevsk, ces noms jusqu’hier oubliés des analyses stratégiques, surfent maintenant à la une de tous les bulletins. Deux coups, portés à des centaines de kilomètres du front, là où la guerre ne devait jamais arriver. La Russie, forteresse, découvre qu’aucun mur, aucun radar, aucun discours ne pourra jamais garantir la sécurité absolue dans un conflit où la technologie a inversé le rapport du faible au fort.

Les forces de sécurité improvisent, coupent ponctuellement l’internet mobile, limitent la circulation, multiplient les patrouilles. Mais la panique sourde dépasse ce que les consignes suggèrent. L’économie, la logistique, le transport, l’alimentation énergétique nationale — tout dépend désormais du récit incertain d’une offensive qui ne se limite plus à la frontière. Pour la première fois, la Russie entière se sent sur la ligne de front, physiquement, matériellement, mentalement. Chaque trajet devient suspens, chaque lieu, cible potentielle.

Les réactions se poursuivent jusque dans les couloirs du Kremlin : comment tenir, comment rassurer, comment punir un adversaire invisible qui connaît, mieux que personne, les failles de votre armure ? La peur, cette nuit, est devenue un fleuve qui s’insinue partout, dissolvant la certitude ancienne des lendemains à peu près tranquilles.

facebook icon twitter icon linkedin icon
Copié!
More Content