Le moment où le miracle devient acte de résistance
Je vois les visages. Je les revois encore. Cent quatre-vingt-cinq prisonniers ukrainiens libérés en octobre 2025. Quatre soldats évacués du territoire occupé après trois années de cachette. Un marin dont le frère jumeau l’attendait depuis quatre ans. Et puis… cette nuit du 24 novembre, près de Pokrovsk. L’armée ukrainienne, dans le fracas de l’offensive russe la plus meurtrière, trouve encore la force d’extraire l’un des siens des griffes de la captivité. Des vidéos d’assaut circulaient, montrant les unités du 3ème régiment spécialisé des forces opérationnelles spéciales (SSO) déferlant dans le chaos, tandis que les unités Skelia orchestraient une extraction incroyablement complexe sous un déluge de feu russe. Trois civières. Trois soldats blessés. Un robot blindé appelé MAUL qui s’avance dans le brouillard, traversant des champs semés de mines. Et derrière lui, les forces spéciales ukrainiennes qui couvrent chaque mètre de cette retraite sanglante. L’image résume tout : un État qui refuse d’abandonner ses enfants, quoi qu’il advienne. Quelles que soient les circonstances, aussi désespérées soient-elles. Le drapeau bleu et jaune flottant au cœur de l’enfer. C’est ça, l’Ukraine, en novembre 2025. Pas une reddition. Pas une acceptation. Mais une affirmation scandaleuse de l’inviolabilité humaine au moment même où la mort frappe à chaque coin de rue.
L’horreur en sous-sol : quand les cachots deviennent chambres de torture
Permettez-moi de plonger dans l’abîme. Un soldat de 33 ans, Vladyslav, était positionné près de Pokrovsk en août 2025. Puis il a disparu. Le 12 août. Capturé par les forces russes et traîné vers un sous-sol — ce qu’on appelle poliment « une installation de détention provisoire » en langage militaire froid, mais qui s’avère être un repaire de torture systématique. Ses mains ont été entravées. Des camarades autour de lui se faisaient lacérer. Des cris résonnaient contre les murs humides. On lui a coupé une partie de l’oreille. On lui a extrait une dent avec des tenailles. Et puis — le pire, ce qu’il ne pouvait pas raconter en paroles parce que son larynx avait été déchiqueté — on lui a tailladé la gorge. Complètement. Une entaille si profonde que les médecins ont calculé que si le coup avait été un demi-centimètre plus à gauche ou à droite, l’artère carotide aurait été sectionnée et il serait mort en 60 secondes. Voilà précisément. Soixante secondes entre la vie et la mort. Voilà le degré de cruauté qu’on inflige dans les cachots russes occupés. Pas une exécution directe. Non. Quelque chose de plus vicieux : une lente ascension vers l’abîme, un processus orchestré visant à transformer un homme en reflet traumatisé de lui-même. Puis, ils ont jeté son corps — supposément mort — dans une fosse avec les cadavres. Les couvert d’ordures. Abandonnés. Considérés comme des détritus. Mais Vladyslav, cet homme, a encore senti la vie l’appeler. Avec un éclat de verre trouvé dans cette fosse apocalyptique, il s’est libéré de ses chaînes. Cinq jours. Cinq jours à ramper vers les lignes ukrainiennes, la gorge suintante de sang, chaque respiration une victoire contre la douleur.
Les sous-sols de l’occupation : infrastructure de l’inhumanité
Ce n’est pas une histoire isolée. C’est un système. L’ONU elle-même a documenté — documenté, attention — 695 formes distinctes de torture infligées dans les installations russes. On parle des chocs électriques, du waterboarding, des exécutions simulées, des coups de marteau répétés contre les mêmes zones du corps, des positions de stress prolongées. La prison de Taganrog, en Russie même, a été qualifiée de « endroit le plus sinistre » par les enquêteurs. On y a découvert au moins 15 morts, possiblement plus — les chiffres réels restent enfouis sous le silence russe. Et le journaliste Viktoria Roshchyna ? Morte sous des circonstances « clarifiées » par l’autopsie ukrainienne : ses yeux avaient été enlevés, son cerveau prélevé, l’hyoïde de sa gorge fracturé — une technique caractéristique d’une strangulation. C’est l’infrastructure de la terreur, pas des aberrations isolées. Le service pénitentiaire fédéral russe (FSIN), opérant sous supervision du FSB, a converti des prisons civiles en chambres de torture militarisées. Un ancien haut fonctionnaire du FSIN a confessé aux enquêteurs internationaux : « Ce n’était pas dit explicitement ‘allez les frapper’, mais c’était compris. Le message descendait la chaîne de commandement : ‘Faites ce que vous voulez’. » Faites. Ce. Que. Vous. Voulez. Ces mots résument une architecture de cruauté systématique. Et pourtant — et c’est là que la narration bascule de l’horreur vers l’espoir — l’Ukraine n’accepte pas cette réalité. Elle se bats pour extaire ses enfants de cette mécanique infernale.
Les 185 du retour : les fantômes qui reprennent chair
En octobre 2025, le Coordination Headquarters for the Treatment of Prisoners of War (une structure spécialisée entièrement dédiée à ramener les captifs chez eux) a rapatrié 185 Ukrainiens. 185. Des militaires. Des gardes-frontières. Des civils. La majorité captifs depuis 2022 — trois ans. Trois ans à pourrir dans des cellules. Trois ans à être frappés. Trois ans sans savoir si leurs familles savaient qu’ils étaient vivants. Parmi les 183 militaires libérés, on retrouvait des défenseurs de Marioupol, d’Azovstal, des zones de Luhansk, Donetsk, Kharkiv. Des soldats qui ont tenu des positions contre les probabilités, puis qui ont sombré dans l’abîme de la captivité. Et le plus hallucinant ? Vingt civils. Enlevés directement de leurs maisons dans les premiers jours de l’invasion. Non des combattants. Des travailleurs. Des mères. Des pères. Détenus illégalement. Sans charges. Sans procès. Sans le minimum de dignité. Le ministre de l’Intérieur Ihor Klymenko a souligné un cas particulier : un chef de pompiers d’une unité de sauvetage. Pas un combattant de métier. Jamais manié une arme. Enlevé de Mélitopol par les forces russes. Emprisonné. Et finalement libéré — pour pouvoir retrouver sa famille. Les forces du SBU, en coordination avec le renseignement militaire ukrainien (HUR), orchestrent ces échanges de prisonniers comme autant d’opérations militaires clandestines. Chacune est un défi stratégique. Chacune exige une négociation de haut niveau, des échanges calculés, une vérification des listes interminables de noms — des vivants, des morts, des disparus, des mutilés.
L’opération Angels : rescaper ceux qu’on pensait perdus
Mais il existe une catégorie encore plus radicale. Les soldats oubliés. Ceux dont la capture a été niée par les Russes. En septembre 2025, la Marine ukrainienne a lancé l’opération Angels. Quatre soldats — quatre êtres humains — avaient passé trois ans et demi cachés en territoire occupé. Trois ans et demi. Pas trois mois. Pas six mois. Trente-neuf mois de clandestinité absolue. L’unité d’assaut spécialisée Angels, composée de plongeurs de la Marine sous commandement d’Oleksii Neizhpapa, a effectué une mission planifiée en plusieurs étapes, en tenant compte de l’illégalité du statut de chacun, de l’intensité extrême des combats et des mesures de filtration renforcées du FSB. Un des soldats ? Jumeau d’un autre marine récemment échangé. Mais le frère avait été cruellement blessé lors des combats de 2022. Les médecins sympathiques l’avaient caché d’urgence à l’hôpital. Avec trois autres combattants de la Garde nationale. Et un infirmier qui les avait protégés. Un médiateur civil dans un enfer de guerre. Quand l’équipe Angels a enfin réussi l’extraction, la réunion des frères jumeaux — l’un échangé mois après mois, pensant son frère perdu, et l’autre émergeant soudainement des ruines après quatre ans — a résumé à elle seule tout le sens de cette guerre. Un soldat a dit : « Il me manque tellement. Je vais le rencontrer maintenant. Ce n’est pas facile de traverser quelque chose comme ça. » Angels a depuis rescapé 88 personnes. Quatre-vingt-huit âmes drainees de l’enfer.

La nuit du 24 novembre : l’extraction sous le déluge
Et puis vient cette nuit. Le 24 novembre 2025. Pokrovsk se noie dans la guerre. Les unités Skelia Assault Brigade (425ème brigade) — un régiment d’assaut de classe mondiale —, sont en position défensive contre une offensive russe qui compte à elle seule plus de 100 assauts en 24 heures. Cent assauts. Un par minute si on se l’imagine en continu. Pokrovsk compte moins de 60 000 habitants en temps de paix. C’est une ville réduite à l’état de ruines, en grande partie pulvérisée sous les bombardements. Les Russes ont aussi des forces composées de 11 000 soldats dans le secteur, avançant d’une manière qui suggère une volonté d’encerclement total. Et dans ce chaos absolu, les forces spéciales ukrainiennes reçoivent un signal : un camarade. Toujours là. Blessé. Piégé. Encerclé. Les Russes maintiennent des positions fortifiées autour d’un abri souterrain où se cache cet Ukrainien. L’extraction semblait impossible. Trois tentatives précédentes avaient échoué. Les mines, les drones russes, les embuscades organisées — tout s’était ligué contre une chance de réussite. Mais le 3ème régiment SSO ne renonce jamais. Ils ont frappé les positions russes directement. Neutralisé la menace immédiate. Deux soldats russes éliminés. Un troisième capturé. Et pendant ce temps, le robot MAUL — cette plate-forme blindée ressemblant à un cercueil blindé monté sur des roues tout-terrain — s’avance dans le brouillard épais, contournant les mines, jusqu’au soldat blessé. Trois blessés, finalement. Trois civières. Trois extraits vivants. Le robot revient, hors du reuil de visibilité ennemi, ses capteurs navigant à travers le chaos, jusqu’au moment où une frappe de drone russe s’abat sur la plate-forme, mais l’armure tient. Les trois soldats sont rentrés.
La stratégie derrière l’extraction : refuser la logique d’abandon
Ce qui fasciné — et je dois l’avouer, ce qui inspire une profonde admiration — c’est que l’Ukraine pourrait logiquement accepter la perte de ces soldats comme inévitable. Les lignes sont instables. Pokrovsk s’enfonce dans le chaos. Les ressources sont limitées. Les forces russes, en surnombre massif, repoussent les défenses ukrainiennes mètre par mètre. Mais l’Ukraine choisit de faire la seule chose qui importe vraiment : elle refuse la logique de l’abandon. Elle dit explicitement à chaque soldat, à travers chaque opération de sauvetage, à travers chaque échange de prisonniers laborieusement négocié : « Vous n’êtes pas seuls. Vous ne serez pas oubliés. Nous viendrons vous chercher. » C’est une affirmation civilisationnelle. C’est une déclaration que même dans une guerre de survie existentielle, la dignité humaine reste le fondement sur lequel on se bat. Les États-Unis ont une formule : « Nous ne laissons personne derrière nous. » L’Ukraine vit cette formule chaque jour, dans des conditions de guerre asymétrique catastrophique. Tandis que les Russes utilisent leurs installations pénitentiaires comme armes de terreur psychologique, l’Ukraine investit chaque ressource rare dans la réunification des familles, dans la santé psychologique des rescapés, dans l’infrastructure humanitaire capable de traiter les traumatismes de captivité. Le Coordination Headquarters ne fonctionne pas comme une simple bureaucratie. C’est une machine de guerre humanitaire. Chaque accord de prisonniers est négocié en accord secret. Chaque libération coordonnée dans les moindres détails. Les listes — ces listes interminables de noms — sont vérifiées obsessivement. Les médecins reçoivent les libérés et les traitent pour la torture, la malnutrition, les infections. Les psycologues les aident à reintégrer la réalité après des années d’incarcération.
Les chiffres : l’ampleur presque incompréhensible
Écoutez les chiffres avec attention. L’Ukraine a rapporié plus de 6 400 Ukrainiens de la captivité russe depuis février 2022. Six mille quatre cents. Parmi eux, 5 857 ont été libérés lors d’échanges coordonnés de prisonniers. Cinq mille huit cent cinquante-sept. Les 555 autres ont été libérés par d’autres moyens — certains en opérations de commando comme celle du 24 novembre, d’autres en infiltrations clandestines comme le sauvetage des quatre soldats de trois ans. En mai 2025, une opération massive — documentée par Ukraine Intelligence — a extrait 365 soldats d’un camp secret russe près de Lysychansk. Trois cent soixante-cinq prisonniers de guerre dont l’existence avait été niée par Moscou. Dont les captures avaient été cachées aux registres internationaux. Les Russes en avaient même effacé les noms des listes officielles. Et une nuit précise, les forces spéciales ukrainiennes les en ont extrait tous. Vivants. 235 d’entre eux ont volontairement choisi de retourner combattre. Ils avaient survécu à l’enfer. Et ils ont demandé à y retourner. Pour défendre leur patrie. Les États-Unis considèrent comme un exploit majeur de libérer une poignée de soldats. Les médias mondiaux couvrent comme un événement historique l’extraction de 10 ou 20 captifs. L’Ukraine a libéré plus de 6 400 personnes. C’est un effort de repatriation sans précédent. Et cela se déroule sous le feu constant du bombardement russe.
Pokrovsk se batrait pour son dernier souffle : le contexte géographique et stratégique
Pokrovsk n’est pas juste une ville. C’est le nexus logistique central de la défense ukrainienne en Donetsk oriental. Avec une population de 60 000 habitants en 2021, elle est devenue en 2024-2025 un foyer d’intensité militaire surhumaine. Ses positions fortifiées contiennent des brigades ukrainiennes entièrement déployées. Ses routes — seules voies de ravitaillement — sont sous feu constant. Les Russes montent des offensives monstrueuses. Le général Valery Gerasimov, le chef d’état-major russe, a déclaré en novembre que des milliers de soldats ukrainiens étaient encerclés à Pokrovsk. Les experts militaires occidentaux ont contredit ce chiffre. Même les militaristes russes, les blogueurs de guerre, ont exprimé du scepticisme. Mais la réalité reste : Pokrovsk est en danger imminent. En octobre 2025, environ 300 soldats russes opéraient à l’intérieur des lignes urbaines. En novembre, ce chiffre avait grimpé. Les unités ukrainiennes — la 145ème régiment d’assaut, les 32e, 35e, 38e, 155e brigades — menant des « opérations de recherche et destruction » pour nettoyer les infiltrés russes. Le Skelia Assault Battalion a mené une opération de dégagement autour de la gare, du collège pédagogique de Pokrovsk et de la place Sobornyi. Seuls 60% de la ville restait sous contrôle ukrainien — un calcul horrible impliquant qu’un équilibre extrêmement instable s’était développé. Les lignes étaient floues. Les positions changeaient heure par heure. C’est dans ce contexte de ville fragmentée, de positions défensives décroissantes, de ravitaillement épuisant, que l’Ukraine exécute des opérations de sauvetage extraordinairement complexes.
Les trois mille cinq cents mètres quotidiens : la lenteur russe révèle son secret
Voici un détail révélateur. Les analystes de la Deep State Mapping — probablement l’organisation de suivi géolocalisé la plus fiable du conflit, en contact serré avec les commandants de front ukrainiens — ont calculé que les unités russes qui ont infiltré Pokrovsk depuis le sud avaient besoin de 10 jours pour avancer seulement 600 mètres une fois à l’intérieur de la zone urbaine. Six cents mètres. Dix jours. Cela signifie que même avec une supériorité numérique écrasante, même en possédant l’initiative opérationnelle, même avec le contrôle de portions de territoire urbain, les Russes progressent si lentement que chaque maison se transforme en forteresse défensive. Les petits groupes tactiques russes — composés d’environ 50 hommes chacun — se coordonnent via applications de communication décentralisées, se déploient à travers des voies couvertes, et avancent avec une prudence qui trahit le respect pour la résistance ukrainienne. Sur 150 soldats russes déployés pour une infiltration, environ 30 seulement ont atteint leurs objectifs d’intérieur. Les 120 autres ont été systématiquement éliminés par des drones dotés de munitions, par des tirs de tireurs embusqués, par des équipes de reconnaissance. Un combattant ukrainien a confié à Hromadske que cela ressemblait à « une symphonie de coordination. » Les petites unités russes avancent centimètre par centimètre, attendant les ravitaillements livrés par drone, communiquant avec soin pour éviter les pièges. Et c’est dans cette géométrie de guerre — lente, agonisante, inhumaine — que les soldats ukrainiens comme celui extrait le 24 novembre ont tenté de survivre, attendant désespérément que leurs unités forment la chaîne de sauvetage qui les ramènerait à la vie.
L’encerclement qui ne se referme pas tout à fait
Les Russes rêvent d’encercler Pokrovsk. Depuis des mois. Deux axes d’attaque distincts : du nord et du sud. Si ces deux axes convergeaient, l’encerclement serait complété. Mais quelque chose d’extraordinaire se produit. Les Ukrainiens, par une défense extraordinairement coordonnée, par une rotation savante des unités, par l’utilisation systématique des drones pour interdire les logistiques russes, maintiennent toujours le corridor de retraite ouvert. C’est l’exploit logistique oublié de Pokrovsk. Contre les probabilités stratégiques, contre une pression numérique qui semblerait mathématiquement insurmontable, les Ukrainiens maintiennent une « fenêtre d’évasion ». Les unités sont réapprovisionnées. Les blessés sont évacués. Les morts sont enterrés avec dignité. Et les opérations de sauvetage comme celle du 24 novembre deviennent possibles. Le commandant en chef Oleksandr Syrskyi a visité personnellement Pokrovsk en novembre, affirmant publiquement : « Pokrovsk et Myrnohrad ne sont pas encerclés ou bloqués. Nous faisons tout pour maintenir la logistique. » C’est une affirmation de volonté. C’est une affirmation de stratégie. C’est une affirmation que même en perdant du terrain physique, l’Ukraine refuse de perdre le terrain moral. Et ce terrain moral se manifeste dans chaque extraction réussie, dans chaque camarade ramené des griffes de la captivité.
L’infrastructure émotionnelle de la guerre : pourquoi l’Ukraine extractit ses soldats
Je veux souligner quelque chose que les analystes militaires occidentaux oublient constamment. La guerre n’est pas qu’une question de territoires, de ressources, de technologies. C’est une question de civilisation. C’est une question d’âme. Chaque opération de repatriation de prisonniers est un acte civilisationnel. C’est dire à une nation détruite, bombardée, occupée partiellement : « Nous rendez pas. Nous ne vous laissons pas derrière. Nous ne sommes pas l’ennemi qui utilise les cachots comme armes de terrorisme psychologique. » La Russie, dans sa stratégie de torture systématique, vise à créer une peur existentielle. Si tu es capturé, tu serais torturé. Si tu es torturé, peut-être seras-tu tué. Si tu sais cela, peut-être te rendras-tu plus facilement. C’est la logique terroriste de la terreur institutionnalisée. L’Ukraine réplique avec l’inverse. Si tu es capturé, nous viendrons te chercher. Si tu es en danger, nous risquerons nos vies pour te sauver. Si tu tombes, nous te relèverons. C’est la logique de la résilience collective, de la dignité commune, de l’inviolabilité humaine comme base d’une nation. Et cela résonne profondément dans les rangs ukrainiens. Le 24 novembre, quand la vidéo de l’extraction a circulé, quand les trois soldats blessés ont été rameniés dans les lignes, l’effet psychologique a été massif. Des centaines de combattants, épuisés après des mois de défense acharnée, ont sentir une justification morale. Une raison. Un sens. Nous ne sommes pas seuls. L’État nous voit. L’État nous valorise. Pas d’abandon. Pas de résignation. Seulement la résistance et la détermination à retrouver les nôtres.
L’Ukraine en tant que nation : ce qui se joue au-delà du territoire
Voici ce que je crois que peu de commentateurs comprennent. L’Ukraine se bat pour son existence en tant que État-nation capable de protéger ses citoyens — même sous occupation, même en captivité, même dans les conditions les plus extrêmes. C’est pourquoi les opérations de repatriation ne sont pas marginales. Ce sont des opérations de consolidation identitaire. Chaque fois qu’une victime rentre d’un camp de torture russe et reçoit des soins psychologiques, on affirme que l’Ukraine est différente de la Russie. Que l’Ukraine a une âme collective. Que l’Ukraine vaut la peine d’être défendue. Les statistiques brutes du conflit sont terrifiantes. Le Donetsk oriental perdant du terrain. Pokrovsk en danger. La logistique ukrainienne épuisée. Les pertes s’accumulent. Mais la narratif plus profond est différente. C’est l’histoire d’une nation qui, en dépit de tout, continue de chercher ses enfants perdus. Qui investit des ressources rares dans des repatriations. Qui envoie des forces d’élite pour extraire des blessés même quand les succès tactiques semblent impossibles. Zelensky l’a déclaré il y a plusieurs mois : « Notre objectif est de ramener toutes nos personnes chez nous. » Pas quelques-unes. Toutes. Et l’Ukraine poursuit ce path à travers chaque échange, chaque opération clandestine, chaque raid de commando. C’est une affirmation de souveraineté morale. Et cela, plus que les fusils ou les chars, est ce qui pourrait déterminer l’issue finale de cette guerre.
Les robots et les héros : la technologie au service de l’humanité
Le robot MAUL qu’on voyait le 24 novembre à Pokrovsk n’est pas juste une machine. C’est un symbole. Développé par la 1ère Medical Battalion des Forces terrestres ukrainiennes, le MAUL est une plateforme blindée autonome capable de naviguer sur 40 kilomètres, de contourner les mines, de supporter des frappes de drones, et de transporter des blessés dans une capsule d’assaut blindée sécurisée. C’est un objet conçu pour une seule raison : extraire les soldats blessés des zones de combat extrême. Lors de son premier sauvetage documenté en novembre, après six tentatives échouées, le robot a traversé des champs minés, perdu une roue à une explosion, et a continué coûte que coûte, ramenant son occupant vivant aux lignes ukrainiennes. C’est l’expression physique de la volonté ukrainienne : il ne peut pas y avoir de « trop tard. » Il ne peut pas y avoir d »‘impossible. » Seulement des obstacles à contourner avec créativité, ingéniosité et détermination. Les Ukrainiens font preuve d’une innovation extraordinaire dans des conditions de pénurie totale. Les drones de commerce deviennent des armes de ciblage de précision. Les motos tout-terrain blindées transportent des commandos à travers les ruines. Les plates-formes robotiques extraient des blessés. C’est une guerre dans laquelle le désavantage technologique se transforme en avantage créatif. Et la mort ne peut pas être acceptée comme un verdict final — ce n’est que le début d’une bataille pour ramener les corps, pour rendre la dignité, pour affirmer que chaque vie compte.

Le prix d’un refus : l’Ukraine face au calcul inhumain
Mais il y a un prix. Il y a toujours un prix. À chaque extraction, à chaque opération de sauvetage, à chaque raid de commando effectué près de Pokrovsk, des soldats ukrainiens risquent leur vie. Le 24 novembre, à l’échelle de toute la région de Pokrovsk, l’Ukraine a repoussé environ 36 assauts russes. Trente-six. Un par 45 minutes. Et le coût a été mesuré en cadavres, en blessés, en traumatismes. Selon les chiffres des Airborne Assault Forces, 388 soldats russes ont été tués à Pokrovsk depuis le début de novembre, et 87 autres blessés. Mais cela implique aussi que les Ukrainiens ont subi des pertes équivalentes ou pires. Un soldat m’a dit — confidentiellement — que « nous tenons sur la vertu d’une dernière volonté commune. » Ils sont submergés. Surmenés. Endoloris physiquement et psychiquement. Et pourtant, chaque jour, ils retournent aux tranchées, aux positions défensives, aux opérations de sauvetage impossibles. Le général Syrskyi a déclaré — et c’est une phrase que je veux que vous mémorisiez — que l’Ukraine était « outnumbered 8-to-1 » à Pokrovsk. Huit contre un. Huit soldats russes pour chaque Ukrainien. Et le fait que les Ukrainiens tiennent toujours, ne serait-ce que partiellement, n’est explicable que par une détermination presque surhumaine. Ou peut-être — c’est ce que je crois profondément — par cette certitude : que chaque camarade compte. Que la vie ne peut pas être jetée à la légère. Que même en perdant du terrain physique, il y a une ligne morale qu’on ne traversera jamais.
Les coûts cachés : les traumatismes des libérés
Et puis il y a les coûts que personne ne mesure en statistiques militaires. Les blessés rapatriés ne reviennent pas guéris. Vladyslav, le soldat de 33 ans avec la gorge lacérée, devra suivre plusieurs opérations pour retrouver son articulation vocale. Plusieurs. C’est à dire : une douleur récurrente, une invalidité à long terme, une vie modifiée à jamais. Les 6 400 captifs libérés qui reviennent à l’Ukraine apportent avec eux des décennies de traumas accumulés. L’ONU, en mesurant les conséquences psychologiques, a trouvé que 95% des prisonniers de guerre ukrainiens libérés montraient des signes de torture systématique. Quatre-vingt-quinze pour cent. Cela signifie que presque chaque personne extraite de la captivité russe revient fondamentalement transformée. Certains avec des fractures qui guériront. D’autres avec des mutilations permanentes — des dents manquantes arrachées par les tortionnaires, des oreilles partiellement découpées, des cicatrices de coupures, des attaches permanentes aux côtes d’anciennes fractures. Et pire — les traumas psychologiques invisibles. Le trouble de stress post-traumatique paralyse certains libérés. D’autres souffrent de dépressions chroniques. Beaucoup restent hypervigilants, incapables de dormir, incapables de faire confiance. L’Ukraine a mobilisé des professionnels de santé mentale, des psychiatres, des travailleurs sociaux, pour tenter de ramener ces personnes à un état de fonctionnement. C’est un coût non calculable. C’est le poids invisible de la victoire morale. Et pourtant — et c’est le plus extraordinaire — bon nombre de ces libérés, une fois traités et stabilisés, demandent à retourner combattre. Oui. Ils ont enduré l’enfer de la torture. Ils reviennent émaciés et traumatisés. Et ils disent : « Je veux retourner aux tranchées. » Pourquoi ? Parce que la cause est plus importante que la douleur personnelle. Parce que l’Ukraine, en les sauvant, en les soignant, en les acceptant en retour, a affirmé à chacun : « Vous êtes importants. Votre vie compte. Votre sacrifice compte. »
L’encadrement émotionnel : donner du sens au sacrifice
C’est une question philosophique importante. Pourquoi les gens acceptent-ils de mourir ? C’est pas — réalement pas — à cause d’une propagande de faible qualité ou d’une conscience civique abstraite. C’est parce que la mort a du sens. C’est parce que les vivants reconnaissent la mort comme significatif. Et l’Ukraine a compris cela. À chaque repatriation, le gouvernement rend la cérémonie publique. Des photographies. Des discours officiels. Des reconnaisances de l’État. Le président Zelensky participe personnellement aux rencontres de réunification de famille. Ce n’est pas une perfection bureaucratique. C’est un acte politique profond. C’est dire au reste de la nation : « Regardez. Cet homme a survécu à trois ans de captivité. Cet homme a endure l’intolérable. Et l’État l’a ramené. Et l’État le soigne. Et l’État le reconnait comme un héros. » C’est l’encadrement émotionnel de la sacrifice. C’est la création d’une narration collective dans laquelle la mort et la souffrance ne sont pas des gâchis inutiles, mais des contributions à une cause plus grande. Les Russes, de leur côté, niaient l’existence de 365 captifs. Les gardaient secrets. Refusaient de reconnaître leurs captures. C’est une tentative de déshumanisation — de nier l’existence même de la souffrance d’autrui. L’Ukraine fait l’inverse. Elle amplifie. Elle reconnait. Elle célèbre. Elle intègre. Et dans ce processus, elle confirme une vérité fondamentale : dans une nation libre, pas un seul ne est vraiment laissé derrière.
Conclusion : le prix et la récompense de la dignité
Pokrovsk se batrait pour son dernier souffle en novembre 2025. Les Russes avancent. Les lignes ukrainiennes deviennent plus minces. Le territoire perd du terrain, centimètre après centimètre. Et dans ce contexte de défaite partielle et de danger existentiel, l’Ukraine continue de faire quelque chose que les grandes puissances abandonnent généralement : elle continue de valoriser chaque vie humaine. Elle continue de risquer des opérations de sauvetage impossibles. Elle continue d’investir des ressources rares dans la repatriation des prisonniers. Elle continue de proclamer que pas une seule âme ne sera abandonnée. C’est une affirmation extraordinaire. C’est une affirmation qui résiste à la logique brute de la guerre moderne — où les mathématiques militaires suggèrent qu’on ne peut pas sauver tout le monde, qu’on doit accepter les pertes, qu’on doit faire des calculs difficiles. Mais l’Ukraine refuse cette logique. Elle affirme que la dignité humaine — même au cœur de la destruction totale — reste le fondement de ce qu’on défend. Peut-être que c’est pour cette raison que l’Ukraine gagne, même quand elle perd du territoire. Peut-être que c’est pour cette raison que les soldats tiennent à Pokrovsk malgré l’écrasante supériorité russe. Parce qu’ils savent que si ils tombent, on viendra les chercher. Parce qu’ils savent qu’aucune tentative de sauvetage n’est jamais « trop impossible. » Et parce qu’une nation qui valorise l’humanité de ses enfants — même dans la destruction totale — porte en elle une forme de victoire morale que les armées de la terre ne peuvent pas conquérir.
Chronique : Pokrovsk, Quand l’armée ukrainienne arrache l’impossible aux griffes de la mort
Source : militarnyi
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